Entrée en jeu

De Myriam Lambert

Lorsqu’un ami vous propose un projet fou tout en ayant les yeux qui brillent et que l’engouement vous prend dès la première discussion, il est difficile de résister. Surtout si cette utopie marque une continuité dans les visées artistiques du centre pour lequel vous travaillez. C’est ce qui s’est produit pour Plein Jeu, une folie devenue rêve, devenue réalité.

Commençons par le début.

Depuis plus de vingt ans, Avatar invite des artistes à créer des œuvres sur son Disklavier. Cet instrument est un piano midifié, que plusieurs ont étudié en venant à Avatar.

En 2018, Jocelyn Robert, artiste, directeur du laboratoire ORCA et professeur à l’École d’art de l’Université Laval, effectuait des expérimentations sur le majestueux orgue à tuyaux midifié du Palais Montcalm, et ce, pour ses propres créations, mais également pour celles d’un groupe d’étudiantes et d’étudiants du laboratoire.

Dès lors, Jocelyn a informé notre équipe que, bien que cette caractéristique soit souvent méconnue et sous-exploitée, les orgues à tuyaux récents sont généralement équipés d’un système MIDI. C’est ici que l’étincelle s’est allumée. Avatar a vu là une opportunité d’approfondir ses recherches et de favoriser l’émergence d’œuvres pensées autour des possibilités de contrôle qu’offrent les instruments à clavier midifiés. Constatant l’ampleur de ces perspectives, en 2020, une étroite collaboration s’est créée entre Avatar et le laboratoire ORCA. Nous avons multiplié les conversations dans l’intention de concevoir un projet de réflexion portant sur les divers horizons de création et de développement qu’ouvrent l’orgue à tuyaux et l’informatique. Dans la foulée, le centre français Athénor, scène nomade, s’est inscrit dans ce projet comme partenaire de diffusion.

La même année, afin d’approfondir ces investigations, Avatar a invité des artistes de différentes disciplines à prendre part à des résidences collectives de recherche et de création de longue durée. Celles-ci se sont déclinées comme suit :

Interstices ductiles : Simon Elmaleh, Nataliya Petkova, Jocelyn Robert et Vincent Thériault

Musique pour sièges vides : Bruno Bouchard, Benoît Fortier et Philip Gagnon

Vicomte de rien : Jocelyn Robert

À l’occasion de ces résidences, nombre d’interfaces MIDI et informatiques ont été développées et liées à l’orgue du Palais Montcalm. Les artistes ont, par conséquent, pu s’investir pleinement dans la création d’œuvres sonores par l’entremise de dispositifs numériques, faisant résonner l’orgue et le Palais tout entier sans même toucher au clavier. L’instrument à vent vibra par l’intermédiaire de la programmation et des diverses interventions des artistes. Dans l’optique d’allier toujours plus de disciplines entre elles, deux œuvres vidéographiques, où le doux mouvement du temps se déploie, ont également été commandées, l’une à Josiane Roberge pour Interstices ductiles et l’autre à Julie Bouffard pour Vicomte de rien. Ainsi, des plans-séquences immersifs appuient les pièces sonores afin de plonger le public dans l’imaginaire des artistes en art audio.

Avatar a aussi invité sept personnes à réfléchir sur divers aspects du projet en produisant un écrit pour cet ouvrage. Dans son texte D’où et où, Jocelyn Robert retrace l’histoire de l’orgue de ses débuts jusqu’à aujourd’hui et expose la situation ayant découlé de la midification du roi des instruments. Quant à elle, Anne-Marie Bouchard explique l’importance qu’a ce dernier dans le patrimoine musical et architectural québécois. Par sa curiosité de chargée de projet ayant travaillé à la préparation de Plein Jeu, Pascale LeBlanc Lavigne observe l’instrument et sa midification à travers une lecture technique faisant un parallèle entre l’orgue et le corps humain. Pour sa part, Louise Boisclair, qui a procédé à une écoute attentive de chacune des pièces issues des résidences Interstices ductiles et Vicomte de rien, nous les décrit en poésie et nous oriente dans leurs univers. Puis Manon Tourigny, qui a rencontré les concepteurs de Musique pour sièges vides, détaille leur processus de création et les approches qu’ils ont utilisées pour jouer de l’orgue autrement. Avec son chapeau de membre d’un collectif formé pour Plein Jeu, Philip Gagnon évoque sa vision de la création collective à travers l’allégorie bien ficelée Crrriick, crrriick, crrriick,crrriick. Bzzzzzzzzzzzzzt, schklat-tlack!. Enfin, en tant qu’observatrice et participante aux activités du laboratoire ORCA, Andrée-Anne Laberge a, pour sa part, réfléchi sur les notions de plaisir, de langage, d’improvisation et de responsabilités partagées en contexte de création collective, ce qu’elle a fait dans un écrit intitulé Lorsque le « Je » et le « Nous » se rencontrent.

En bref, par cette publication, Avatar souhaite mettre en lumière ce qu’est Plein Jeu, un projet d’envergure aux multiples facettes : des rencontres réunissant des artistes, de longues résidences de recherche et de création, des inventions d’interfaces MIDI et informatiques, des développements technologiques, des réflexions théoriques, des œuvres pour orgue à tuyaux midifiés… mais aussi des collectifs d’artistes, des collaborateurs et des collaboratrices, des partenaires et une merveilleuse équipe dévouée, soit des humains qui se regroupent pour penser et créer, pour faire avancer une idée, un rêve commun.